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Droit de la concurrence – Le retour des dawn raids en Europe

December 15, 2021

By

Pierre Kirch,

Camille Paulhac,& Juliette Hua

Après une parenthèse de près de 18 mois, les opérations de visite et saisie (« OVS » ou « dawn raids » en anglais) de la Commission européenne et des autorités de concurrence européennes, y compris l’Autorité de la concurrence française, reprennent.

Les dawn raids sont des visites surprises des locaux d’entreprises et/ou des domiciles privés de leurs employés par les autorités de concurrence, diligentées afin de rassembler des éléments de preuve en cas de suspicion de violation du droit de la concurrence (le plus souvent des ententes secrètes). Les enquêteurs de la Commission européenne et/ou d’une autorité nationale de concurrence, accompagnés par des officiers de police, peuvent saisir et copier tout document, matériel, enregistrement, données, y compris les dossiers papiers confidentiels, les téléphones portables (y compris les SMS et conversations WhatsApp qui y sont stockées), les agendas personnels, les ordinateurs portables, etc., qu’ils trouvent et qui sont pertinents pour l’enquête. En principe, les enquêteurs ne peuvent pas saisir les documents protégés par le secret professionnel des avocats ni ceux qui ne sont pas en lien avec l’enquête.

Avec la levée progressive des restrictions sanitaires liées à la pandémie de COVID-19 et le retour des employés sur leur lieu de travail, les dawn raids se sont intensifiés au cours des derniers mois. Le rythme des OVS devrait s’accélérer, pour rattraper le retard pris sur les perquisitions planifiées qui s’est accumulé avec la pandémie. Depuis juin 2021, une vingtaine de dawn raids ont été effectués en Europe, dont 4 par la Commission européenne,[i] 2 par l’Autorité française[ii] et 1 par l’autorité néerlandaise.[iii] Et d’autres devraient suivre, Mme Margrethe Vestager, Commissaire européen à la concurrence, ayant récemment déclaré que ce n'était « que le début d’une série de dawn raids [prévus] pour les mois à venir ».[iv]

Les OVS présentent de nouvelles caractéristiques en réaction à l’évolution de l'environnement de travail.

  • Nous devrions assister à une augmentation des perquisitions d’espaces privés (maisons, voitures). Les visites domiciliaires ont toujours été possibles, mais sont jusqu’à présent restées rares. Pour perquisitionner un domicile privé, une autorité doit démontrer qu’elle a des raisons solides de soupçonner que des preuves incriminantes y sont conservées. Dans la mesure où les employés travaillent depuis plusieurs mois chez eux, cette condition est devenue plus facile à remplir. La tendance est déjà amorcée : le 10 novembre 2021, l’Autorité de la concurrence française a perquisitionné les domiciles d’employés de plusieurs entreprises du secteur de la distribution alimentaire.
  • Les OVS pourraient être de plus en plus fréquentes dans des affaires autres que les ententes entre concurrents (cartels): la Commission européenne et l’autorité de la concurrence grecque ont récemment mené des perquisitions pour des soupçons d’abus de position dominante (dans le secteur de la santé animale en Belgique, et sur les marchés de la production et de la fourniture de produits pharmaceutiques en Grèce) ; l’autorité de la concurrence grecque a également perquisitionné les locaux d’entreprises actives dans l’importation, la fabrication, le commerce de gros et de détail d’équipements scolaires, soupçonnant des accords verticaux illicites.
  • Les perquisitions sont susceptibles de durer plus longtemps qu’auparavant, en raison du respect nécessaire des protocoles sanitaires et des exigences de coordination supplémentaires (plusieurs lieux à perquisitionner).
  • Les perquisitions viseront de plus en plus les données informatiques et les smartphones. Le travail à domicile a accéléré le passage au tout-électronique et brouillé les frontières entre ordinateurs portables, téléphones ou agendas professionnels et personnels. Les applications de messageries instantanées seront particulièrement contrôlées.
  • Le projet de règlement européen sur les subventions étrangères, qui devrait entrer en vigueur en 2022, conférera à la Commission le pouvoir de perquisitionner les locaux d’entreprises (européennes comme non-européennes) qui pourraient avoir reçu des aides publiques illégales de la part de pays tiers, élargissant ainsi son champ d'intervention[v].

La légalité d’un dawn raid peut être contestée en justice. Il est essentiel d’anticiper et de mettre à jour les lignes directrices en cas d’OVS à l’ère du COVID-19.

Le tableau ci-dessous présente des recommandations générales. Pour plus de précisions, l’équipe Concurrence de Paul Hastings est là pour vous aider.

Recommandations “traditionnelles”

Adaptation au COVID-19

En amont

Identifiez au moins un point de contact interne par établissement qui sera formé pour réagir de façon adéquate à la visite imprévue des autorités de concurrence, et qui assurera la réponse de l’entreprise jusqu’à l'arrivée de l’avocat.

Identifiez des points de contact alternatifs, au cas où la personne initiale serait en télétravail le jour de la perquisition.

Assurez-vous que les numéros de téléphone des points de contact soient accessibles afin qu'ils puissent être facilement contactés même s'ils travaillent à domicile.

Sélectionnez en priorité les employés les plus seniors, qui connaissent bien la structure informatique de l’entreprise et les documents du service juridique.

Choisissez des employés qui viennent fréquemment au bureau et/ou qui peuvent se rendre rapidement sur le lieu de travail.

Formez votre personnel sur ses droits lors des perquisitions (respect de la vie privée, pas d’auto-incrimination, secret professionnel des avocats, etc.)

Renforcez les formations sur :

  • le droit à la vie privée, compte tenu du risque accru d’abus de procédure lors des perquisitions domiciliaires / saisies d’appareils personnels ; et
  • les protocoles sanitaires – les inspections doivent être « menées dans le respect de tous les protocoles sanitaires et de sécurité relatifs au coronavirus afin de garantir la sécurité des personnes concernées » (nouveaux communiqués de presse de la Commission européenne). Le non-respect de ces exigences pourrait devenir un outil supplémentaire pour contester la légalité des perquisitions.

Organisez une formation spécifique des directeurs et responsables des ventes sur les visites domiciliaires privées (maisons et voitures), ceux-ci étant susceptibles de ne recevoir l’assistance d’un juriste / avocat qu’après plusieurs heures de perquisition. Ils doivent savoir que leur domicile peut être perquisitionné, même en leur absence.

 

Les dawn raids tendent à devenir un exercice de plus en plus informatisé : formez des experts informatiques internes capables de traiter avec ceux des autorités.

Dès l’arrivée des enquêteurs

Appelez immédiatement votre avocat et demandez aux enquêteurs d’attendre son arrivée avant de commencer la perquisition.

Les enquêteurs ne sont pas légalement tenus de le faire mais acceptent généralement, par courtoisie, de laisser une heure pour que l’avocat arrive. Si vous pouvez les rassurer sur la sécurité des données (par exemple, duplication du système informatique / enregistrement quotidien des données informatiques à 3h du matin, de sorte que tout ce qui s’est passé jusque-là est sauvegardé), ils seront probablement plus enclins à attendre l’arrivée de l’avocat avant de commencer la perquisition.

Envisagez le fait que des employés (directeurs, responsables des ventes) peuvent faire l'objet d’une perquisition simultanée à leur domicile.

Les employés qui font l’objet d'une visite domiciliaire peuvent demander à appeler le point de contact interne / l’avocat.

Demandez à examiner la décision autorisant l’OVS et vérifiez soigneusement son périmètre et les autres informations qui y sont contenues.

Si les employés visés ne sont pas dans les locaux perquisitionnés, faites-les venir au bureau.

Leur présence peut raccourcir la durée de l’OVS, car ils seront en mesure de répondre aux questions factuelles des enquêteurs, évitant par exemple qu’un bureau soit scellé pour plusieurs jours.

N’entrez pas en contact avec des tiers / concurrents pour les informer de l’OVS.

 

Pendant la perquisition

Restez poli et coopératif, tout en vous tenant au strict minimum.

Les enquêteurs peuvent procéder à des interrogatoires sur place – donner volontairement plus d’informations que celles demandées ou répondre à des questions hors du périmètre de l’enquête ne permettra pas de gagner la faveur de enquêteurs et peut se retourner contre vous.

Tenez-vous prêt à :

  • Accorder un accès à distance aux données stockées sur les appareils utilisés pour le télétravail, y compris les smartphones personnels, car les enquêteurs le demanderont très probablement.
  • Mettre en place des visioconférences au cas où les enquêteurs voudraient interroger un employé en télétravail.

Ne laissez jamais un enquêteur seul dans une pièce.

 

Identifiez toute correspondance provenant d’un avocat, soumise au secret professionnel des avocats, et distinguez-la des documents saisissables.

Dans la mesure du possible, appliquez cette recommandation à toute saisie informatique.

N’enlevez pas, ne jetez pas et ne cachez pas ce qui pourrait entrer dans le périmètre autorisé de l’OVS – cela pourrait entraîner des accusations pour délit d’obstruction.

Les perquisitions peuvent désormais s’étendre sur une période plus longue :

  • Les enquêteurs demandent généralement à l’employé dont les locaux font l’objet d'une perquisition d’identifier les dossiers pertinents pour l’enquête – si la personne n’est pas là, la perquisition pourrait être rallongée.
  • En raison des protocoles sanitaires, les enquêteurs peuvent être amenés à sortir d’un bureau pour l’aérer, et reporter le reste de l’inspection au lendemain.

Les locaux (professionnels ou personnels) seront scellés jusqu’à la reprise de la perquisition. Ne brisez pas les scellés, car cela peut entraîner des accusations pour délit d’obstruction.

A la fin de la journée de perquisition

Documentez tout ce qui s’est passé (ce que les enquêteurs ont fait, qui ils ont interrogé, ce qu'ils emportent avec eux) par des procès-verbaux.

Si l’OVS s'étend sur plusieurs jours, effectuez cet exercice à la fin de chaque journée.

Dans le cas où la perquisition a été effectuée dans plusieurs endroits à la fois, assurez-vous de la coordination entre points de contact internes / membres du personnel ayant fait l’objet d'une visite domiciliaire.

Après la perquisition

Conduisez un audit interne afin de retracer les étapes de la perquisition et d’enquêter sur les problématiques soulevées par les OVS.

 

 

Les recommandations de Paul Hastings concernant les perquisitions effectuées aux États-Unis par le FBI peuvent être consultées ici : https://www.paulhastings.com/insights/client-alerts/u-s-criminal-antitrust-enforcement-how-to-respond-when-the-fbi-comes
 

[i]   Les perquisitions ont été menées dans les secteurs suivants : défense (23 novembre 2021, ici), santé animale en Belgique (25 octobre 2021, ici), pâte de bois dans différents Etats membres (12 octobre 2021, ici) et production et distribution de vêtements en Allemagne (22 juin 2022, ici).

[ii]   Les perquisitions ont été menées dans les secteurs suivants : grande distribution à dominante alimentaire (10 novembre 2021, ici) et collecte et exploitation des données d’officine de pharmacie (9 juillet 2021, ici).

[iii]  La perquisition a eu lieu dans le secteur de la transformation alimentaire (1er décembre 2021, ici (en néerlandais uniquement)).

[iv]  Discours de Margrethe Vestager lors de la conférence annuelle de l’Italian Antitrust Association – « A new era of cartel enforcement », 22 octobre 2021, accessible ici (en anglais uniquement).

[v]   Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les subventions étrangères génératrices de distorsions, 5 mai 2021, ici.

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Camille Paulhac

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